Hommage à feu Professeur- Ingénieur ENIANLOKO HOUESSOU Codjo: #32 M. Magloire ACHIDI témoigne

Cotonou (BENIN), le 30 Ocobre 2020

« Il y a de ces personnes qui traversent votre vie et qui laissent derrière elles la queue d’une comète. »

M. Enianloko fut une de ces personnes pour moi. N’eut été cette série d’articles, je ne savais pas qu’il était universitaire, ingénieur, donc homme de science et technicien. Ce fut après lecture de quelques témoignages que je réalisai que le personnage en question était en fait mon fameux voisin, le « Camarade » Enianloko, propriétaire de la Villa 25, cette Villa au portail rouge crainte des passants, et pour bien des raisons.

Mon témoignage est donc celui d’un petit voisin du quartier Donaten qui a connu M. Enianloko et ses alentours.

Ma première connaissance que j’avais de lui fut à travers une légende locale qui a été démontée plus tard. C’était presque en fin des années 1980, on connaissait le « Camarade » Enianloko comme propriétaire de la Villa 25 de la Cité Vie Nouvelle de Donaten et qui parfois tirait des coups de fusil en l’air la nuit.

A cette époque de ma vie, ma famille et moi faisions partie des sinistrés déguerpis d’une autre zone pour assouvir les besoins immobiliers d’un des puissants du PRPB de l’époque. On nous alloua des parcelles de terrain temporaires au bord de la mer, un endroit qui se transforma rapidement en un ensemble de bidonvilles et de taudis où les animaux domestiques étaient souvent laissés en divagation. L’hygiène de la Cité Vie Nouvelle tranchait nettement avec la malpropreté de la zone non lotie où habitaient aussi bien les sinistrés que certains malfrats qui y trouvaient refuge après avoir commis leurs petits larcins. Les « zangbéto » régnaient en maîtres de nuit à Donaten et certaines de leurs sorties étaient concomitantes aux vols d’animaux domestiques. Parfois, ces veilleurs de nuits s’aventuraient jusqu’aux abords de la Cité Vie Nouvelle.

Il se trouvait justement que la Villa 25 des Enianloko était frontalière de la zone non lotie. C’était une villa avec des clôtures hautes surmontées de fils barbelés. Il était dit que le maître des lieux les électrifiait la nuit. De toute façon, la maison était bien connue de tous ceux qui quittaient la zone non lotie pour aller vers la Cité. Mais qui pouvait bien s’aventurer vers la maison des Enianloko ? Tout le monde longeait cette fameuse clôture sur la pointe des pieds pour ne pas avoir à déranger les résidents.

Le maître des lieux était très à cheval sur les principes de bon voisinage. Il n’aimait pas le tapage à côté de sa clôture, surtout en période de fêtes de fin d’année, où les « kaléta » jouaient bruyamment de la musique pour quelques pièces de monnaie.

Il y avait même une légende locale qui circulait parmi les habitants de la zone non lotie de Donaten. M. Enianloko aurait fusillé une truie dont les porcins faisaient du vacarme près de sa clôture ! Cette histoire jeta la panique parmi tous les habitants de la zone non-lotie et on marchait sur la pointe des pieds quand on passait près de sa clôture. Il ne fallait surtout pas se faire flinguer ! Mais cela resta au stade de légende. Personne ne s’était jamais plaint de la perte ou d’une blessure par balle de son animal. On avait en ces temps un délégué du quartier respecté par toute la communauté : C’était M. AYIVI Ayayi Antoine, l’ancien Directeur de l’École de Base de Donaten. Il n’avait jamais reçu une plainte d’animal abattu ou blessé.

Ma rencontre avec M. Enianloko fut très brève et fut aussi une de celles qui me marquèrent par la profondeur de ses propos. C’était un samedi en début de soirée. J’avais passé tout l’après-midi à réviser les cours avec mes camarades qui habitaient à la Cité. Je devais passer devant son portail pour aboutir sur la rue sablonneuse qui menait chez moi. Je ne l’avais pas aperçu au portail sinon je serais sûrement passé ailleurs. Il m’appela de sa voix forte et m’ordonna de m’approcher de lui. J’étais mort de peur ! Tremblant de peur mais rassemblant mes dernières forces, je m’approchai de lui. Sa voix devint plus douce et il me demanda mon nom, mon âge et ce qu’un petit garçon de mon âge faisait à une heure aussi tardive de la soirée. Je lui expliquai calmement que je revenais d’une séance de révision dans une résidence non loin de la sienne. Et pour appuyer le geste à la parole, j’ouvris mon sac pour lui montrer mes effets scolaires. Il semblait un peu perplexe qu’un garçon de mon âge puisse arpenter seul les rues non éclairées de la zone non-lotie un samedi soir. Mais je me rappelle jusqu’à ce jour de ce qu’il me dit : « Si tu veux être respecté dans la vie, travaille bien et sois toujours le meilleur dans ce que tu fais. Maintenant, rentre chez toi, et vite ! ».

J’avais écouté ce qu’il avait dit, j’étais juste à une portée de ses bras. Son visage dégageait plutôt de la compassion et de la bienveillance envers un petit garçon d’une famille pauvre qui passait ses heures libres à étudier. Quand je tournai les talons, la peur était toujours en moi. Était-ce bien le Camarade Enianloko à qui je venais de parler, et m’en être sorti en un seul morceau ?

Au détour de sa clôture, je courus de toutes mes forces dans les rues sablonneuses de Donaten sans regarder en arrière. Quand, le visage hagard, je racontai cette expérience à la maison, personne ne voulut me croire. Mais j’ai gardé ses mots en moi jusqu’à présent.

Par la force des choses, je voyageai sous d’autres cieux, vers d’autres civilisations. Malgré le racisme ambiant, l’injustice systémique et les inégalités criardes, je crois que ce fut par mon travail que je pus imposer le respect de ma personne. J’appris aussi à mettre des barrières autour de moi afin de ne pas laisser mon extraversion naturelle me distraire de mes objectifs.

Je n’ai plus eu des nouvelles de M. Enianloko depuis le début des années 1990 jusqu’à la diffusion de cette série de témoignages sur son personnage. Je ne savais nullement que mon mystérieux voisin était un ingénieur et universitaire. Comment pourrais-je le savoir, d’ailleurs ?

Le peu de contact que j’ai eu me permet de dire qu’il a dû être un bon éducateur, certainement un grand scientifique en avance sur son temps donc peut-être incompris par ses pairs.

Les souvenirs de M. Enianloko étaient soigneusement enfouis peut-être à jamais dans ma mémoire, cette série de témoignages a permis de les ressusciter définitivement.

« Le vrai tombeau des morts, c'est le cœur des vivants » et je crois que dorénavant la flamme de sa mémoire sera maintenue bien haute.

Pour cloturer le mois d'hommages, une émission virtuelle est prévue en Facebook Live sur la page de VITAL PANOU PERSO https://www.facebook.com/Vital.M.Panou, demain dimanche 1er novembre 2020 à 18:00 (Heure du Bénin) et à 12:00 (Heure de New York).

Nous laisserons exceptionnellement le régistre des témoignages ouvert jusqu'au 30 novembre prochain. Mais, nous mettons fin aujourd'hui aux témoignages quotidiens. Nous publierons de facon sporadique les prochains témoignages qu' éventuellement nous recevrons. Nous vous invitons à consulter de temps en temps la plateforme Africanyouth au http://africanyouth.info/ pour ne rien manquer.

Pour nous Joindre:

Par courriel: enianlokir@yahoo.fr Par WhatsApp: + 1 (514) 298-1504 Par Messenger: Aimerwi Mylife

Merci à toutes et à tous!