C'est un sujet à la traque et qui divise violemment l’opinion publique au Bénin. Par ces temps tendus à coups de contestations électorales et de répressions carcérales, ça fait grand débat au- delà de la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET).
On ne s'entend guère sur les mots qui sont vus comme des maux et qui font tomber derrière les barreaux.
Chez le Procureur spécial près la juridiction la plus en vue aujourd’hui au Bénin, ils en passent et repassent des terroristes raflés aux détours des harangues ou des manifestations de rue liées à l’élection présidentielle du 11 avril 2021.
Mais aussi, lors de réunions de mouvements de contestation et de mobilisation vues en face comme des associations de rébellion et d’insurrection.
Les fractures linguistiques ont cédé le pas aux captures des mots balistiques.
On en est à mesurer, à l'intentionmètre, la distance qui sépare les propos politiques d’accusations de terrorisme.
On traque aujourd’hui des mots, même par captures d'écran, comme on recherche des caches d'armes de guerre.
Les mots seraient des commencements de preuves dans l’intention de commission des terreurs.
Alors qui parle terrorise ; il faut donc la boucler ou la faire boucler.
C'est une théorie préventive de la lutte contre le terrorisme qui fout la trouille.
Quelle est la ligne rouge entre la métaphore des stratégies de guerre dans la sémantique politique et les mots, fort prononcés, par des contestataires du pouvoir ?
A quel moment passe-t-on de l’activisme politique, même sur les réseaux sociaux, à terroristes? En gros du verbe à l'obus ?
Quand Reckya MADOUGOU, postulante recalée à la candidature de la présidentielle querellée, raille en public les accusations d'actes de terrorisme qu'on lui prête, passe-t-elle aux aveux ? Ou tourne-t-elle en dérision les fabriques d'infox de pièces à convictions.
Quand Joël AÏVO, fouetté dans son orgueil par les quolibets du sobriquet «la bande des lâcheurs », se fend d'un communiqué au lendemain du rapt d’interpellation de "Recky-la-douce-terreur", est-ce un aveu de complicité pour terrorisme ou une bravache d'un harangueur, doté d'une artillerie lourde du droit constitutionnel ?
Que Thibault OGOU, jeune activiste, marche et éructe en promettant un combat sans merci contre le pouvoir, en fait-il une foudre de guerre terroriste?
Quand Nadine OKOUMASSOUN, dans la candeur et la frénésie juvéniles, pianote sur le clavier de son téléphone, quelques exaspérations et fulmine d'une colère saine, son android est-il pour autant une arme de terroriste ?
Et la liste s'allonge autant, d’accusations lourdes et graves qui interpellent sur le sens des mots.
En quelques jours, le Bénin serait donc devenu, au regard des arrestations en masse, un sanctuaire de terroristes ?
Une base de dangereux activistes ayant choisi la terreur comme moyen d'expression politique ? La défense aura fort à faire dans le prétoire face à l'accusation jonglant entre le Dalloz et le Littré. Il s'en promet des joutes oratoires par des dinosaures de la plaidoirie comme Robert-le-verbe ou Kato-la-teigne.
S'ils ne sont pas eux-mêmes dans le box des accusés ou jugés par contumace.
Et quand en face, viendront déposer, en témoins-sachants, pour le compte d'accusations, d'autres jadis professionnels du type Sévé-coton ou Alain-recto-verso, bien rusé serait celui qui s’y retrouverait dans les pièces à confusion.
Les mêmes qui hier plaidaient pour des actes de résistance, accusent de rage aujourd’hui pour des faits similaires. C'est à perdre son latin.
« Verum colorat se de colore auctoris sui. »
Ted Lapirus.