Déjà en 1961, peu de temps avant sa mort, Frantz Fanon à Roger Taieb déclarait : « Nous ne sommes rien sur terre, si nous ne sommes pas d’abord l’esclave d’une cause, celle des peuples et celle de la justice et de la liberté ». Fort convaincu de cette vérité à allure testamentaire, Ferdinand Sourou MISSENHOUN depuis son « Orages politiques » publié en 2016 dans le paysage littéraire béninois, semble rester inchangé et fidèle à son engagement : celui de dénoncer, de défendre, de guérir les maux par les mots, comme l’affirmait Alain Robbe-Grillet : « le seul engagement possible pour l'écrivain, c’est la littérature ».
En effet, l’œuvre dramatique au titre évocateur « Raison d’Etat » semble alerte. C’est un drame qui plonge le lecteur dans la conscience profonde et abyssale de nos hommes d’Etat. Déjà la première de couverture semble sans ambages : une jeune fille à allure provocante, au physique aguichant et à proximité, un couteau pour matérialiser le double crime à découvrir dans l’œuvre. La lecture minutieuse de ce chef-d’œuvre nous montre deux personnages, Anaïza et Nsogbéna, deux figures emblématiques de nos hommes politiques africains, à travers lesquels Ferdinand exorcise les consciences, expose les hommes politiques dans leur nudité comme dans la laideur de leur âme égocentrique et hypocrite comme le disait le poète, artiste et écrivain français Pierre Reverdy « (…) l’Etat n’est que le gérant d’une société anonyme qu’il a pris l’engagement de servir, mais qu’il ne se charge en réalité que d’exploiter ».
La pièce théâtrale est ici comme un projecteur qui fait jaillir les faisceaux de lumière sur la folie de grandeur de nos personnalités politiques en perte d’humanité. En réalité, l’histoire sous la plume de l’auteur s’ouvre sur une confidence contraignante à la faveur d’un rêve prémonitoire comme pour sonner le glas d’un double crime : le sang et le sexe. Cette prémonition fait entrevoir des épisodes se succédant des plus pathétiques aux plus tragiques. Le personnage Anaïza comme une sorte de hantise se trouve torturé par les réalités d’un passé tortueux, puant et sanguinaire ; c’est donc un exceptionnel talent que de projeter cette œuvre comme un miroir qui expose au public une image sale, répugnante et nauséabonde. L’auteur use donc des mots pour faire la satire des maux qui érodent nos vertus, nous assaillent et compromettent notre vivre ensemble. Par ailleurs, il s’érige en défenseur de la femme, la présente dans ses fragilités comme dans ses immoralités ambiantes. Ainsi, la femme contemporaine, moderne si non libertine s’enlise dans les pratiques dites « émancipatrices » qui causent sa perte. De l’adultère au lesbianisme, de l’hypocrisie religieuse aux crimes de sang savamment orchestrés, l’auteur risque une peinture sombre du paysage socio-politique béninois. En fait, le symbolisme anthroponymique des personnages (bokonon, nsogbena) nous convainc qu’il s’agit d’un plongeon dans l’univers culturel dahoméen.
Loin d’être un discours dithyrambique, Ferdinand Sourou MISSENHOUN perce l’abcès ; il dénonce les dérives autoritaires de l’homme, la phallocratie et les brimades subies par « le sexe faible » dans notre société patriarcale. Il plaide donc pour la libération de la femme, son émancipation et son autonomie. C’est donc un disciple de Calixte BEYALA ou Mariama Bâ n’en déplaise aux ferrures du « phallus ». Le dramaturge in fine se veut un témoin oculaire des réalités socio-politiques de son époque. Ses mots sonnent, en outre comme des panacées qui tentent d’assurer une fonction thérapeutique de la conscience politique encline au mal, à la méchanceté gratuite, à l’assassinat et au meurtre dans l’unique but de s’éterniser au pouvoir ou alors d’orchestrer un coup d’État. Qu’il soit fou du roi ou politique, la caricature faite dans cette pièce est d’une tristesse innommable.
L’Eglise catholique se trouve aussi critiquée de façon virulente. Elle est au banc des accusés et s’expose comme le théâtre propice à l’hypocrisie et à la manipulation ; c’est le lieu de ralliement des hommes d’État dictatoriaux et sanguinaire, le réceptacle des consciences tordues et tortueuses, des vices et des labyrinthes. Aussi observe-t-on le scandale sexuel manifestement patent dans cette œuvre. S’il est vrai que le registre de langue utilisé est d’une aisance exceptionnelle, il est aussi honnête de reconnaître qu’il est risqué, entendu qu’il est suffisamment sensuel, lascif et érotique. Les mots employés sont nus et crus, ils sont une sorte de série pornographique à la Ken BUGUL ( pseudonyme de Mariétou Mbaye Bileoma, écrivaine sénégalaise) comme pour dire que le sexe cesse d’être un tabou et semble-t-il pour rester fidèle à nos réalités sociales et contemporaines où le sexe se désacralise, s’offre, s’expose et se marchande à tout vent !
Raison d’Etat est un « succès de scandale » pour emprunter les mots du patriarche Adrien Huannou à la publication du roman trilogique « Baobab fou ; Riwan ou le chemin du sable... ; Cendres et braises » c'est, une succulence indéniable à lire et à relire.
Victor Adétoundji OLAÏBI, enseignant de lettres au lycée de jeunes filles Mono/Couffo de Lokossa et membre de l’Association des Professeur de français du Bénin section Mono.