Raison d'État de Ferdinand S. Missenhoun : le critique littéraire Hallnaut Engouang livre sa critique sur l'œuvre finaliste du Prix MILA du livre francophone 2022

Raison d'État

Voici l'intégralité de son analyse sur l'œuvre.

Regards sur

, pièce de théâtre de Ferdinand MISSENHOUN

Raison d’Etat

La pièce met essentiellement en scène deux actants : l’homme politique Anaïza, qui vient au compte de son mentor et allié, Nsogbéna, consulter le babalawo, Bokonon, une sorte de voyant aux fins qu’il lui prédise une victoire aux prochaines élections présidentielles qui doivent entériner la défaite de leur ancien ami politique actuellement chef d’Etat, nommé « Son Excellence ».

Pour recouvrer une sorte de pureté, il convient d’avouer ses fautes. C’est uniquement ainsi que peut travailler le devin Bokonon, si Anaïza et son acolyte souhaitent l’emporter. Et par les confessions d’Anaïza, entre-t-on avec violence dans le monde sombre, nauséeux, vomitif de la politique, dans lequel seule la fin compte, peu importent les moyens mis en branle pour atteindre cet objectif. Et le lexique qui parcourt la politique dans cette pièce : « crime », « crime de sang », « sacrifices d’épouses et d’enfants », « braquage », « assassinat », « trahison », « empoisonnement », « disparitions d’opposants »… donne froid dans le dos et coupe le souffle. Il s’agit là d’actes posés par les candidats à l’élection présidentielle, anciens membres du Pouvoir. Est-ce ainsi que les populations sont gouvernées ?

Anaïza explique comment son complice Nsogbéna et lui ont souvent fait porter le chapeau à leur ancien allié, « Son Excellence » qu’ils jugeaient encombrant avant leur expulsion du Parti. Mais les complices ont également un but inavoué. Ils en ont trop dit à Bokonon et une fois au pouvoir, l’élimineront-ils. Mais « la trahison toujours trahit le traître », nous apprend Victor HUGO dans Actes et Paroles. Anaïza aurait dû s’en souvenir. Le babalawo qu’il est allé consulter pour l’aider « sorcellairement » à prendre le pouvoir et déchoir Son Excellence, s’avère finalement être l’allié de ce dernier. Anaïza écarquille les yeux quand il se rend compte que non seulement Bokonon avait enregistré tous ses aveux mais aussi et surtout que son adversaire politique, Son Excellence, était caché dans la salle de réception et avait tout entendu. Voilà la première chute. La carrière politique de Anaïza et son compère Nsogbéna risque fort de prendre fin prématurément. Mais revirement inattendu et donc seconde chute : Anaïza se réveille tout en sueur. Il s’agissait d’un cauchemar. Mais le rêve est souvent prémonitoire, nous ne le savons que trop bien. La fin de cette pièce nous laisse sur notre faim.

Raison d’Etat

Dans un style élégant mais non recherché, soigné mais sans amphigouri, le dramaturge dont la pièce aurait tout aussi bien pu s’intituler La Confession ou Le Rêve, jette un regard sombre sur le politique et la politique. Est-il pour autant pessimiste ? La réponse est négative. Il est vrai que le néant parcourt cet admirable texte : la première de couverture et le titre sont empreints de rouge comme le sang des trop nombreuses victimes innocentes des politiques. Mais le réveil qui le clôt se lit symboliquement comme un espoir : la quatrième de couverture est cousue essentiellement de blanc qui laisse penser qu’il est encore possible de bâtir une Afrique politique sainte… ou tout du moins… saine.